Résumé régional Moyen-Orient et Afrique du Nord - Rapport annuel 2020

Au Yemen premier jour de classe pour des élèves à Taez

Sommaire des introductions au Rapport annuel 2020

Sommaire des résumés régionaux :

Résumé régional Moyen-Orient et Afrique du Nord

Face à la pandémie de COVID-19, les gouvernements de la région ont déclaré l’état d’urgence ou adopté des lois limitant excessivement la liberté d’expression. Des personnes ont été poursuivies en justice pour avoir critiqué, de façon légitime, la gestion brutale de la pandémie par leur gouvernement. Des membres du personnel soignant ont protesté contre le manque de protection au travail, notamment en matière d’équipement et d’accès au dépistage, mais le fait d’avoir exprimé leurs inquiétudes concernant leurs conditions de travail et la santé publique les a exposés à des arrestations et des poursuites. Des États ont pris des mesures discriminatoires dans le cadre de la lutte contre la pandémie, y compris en ce qui concerne la distribution de vaccins.

Les défenseur·e·s des droits humains dans la région ont poursuivi leurs activités malgré le risque élevé auquel ils s’exposaient ainsi d’emprisonnement, de poursuites judiciaires, d’interdiction de voyager et d’autres formes de représailles. Les forces de sécurité ont tué ou blessé des centaines de personnes en recourant illégalement à une force meurtrière ou à létalité réduite, en toute impunité. La surpopulation carcérale et les conditions de détention insalubres ont exposé les prisonnières et prisonniers dans la région à un risque accru de contracter le COVID-19, l’insuffisance des soins de santé ainsi que les actes de torture et les autres mauvais traitements pratiqués dans les prisons aggravant encore cette situation.

Les parties aux conflits armés ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire. En pleine pandémie, les autorités ont restreint l’aide humanitaire, ce qui n’a fait qu’exacerber l’état déplorable de systèmes de santé déjà exsangues. Des puissances militaires étrangères ont facilité des violations en procédant à des transferts d’armes illégaux et en apportant un soutien militaire direct aux combattants. Plus de trois millions de personnes réfugiées ayant fui la Syrie ont continué d’être accueillies dans de petits pays, mais différents facteurs ont contraint au retour un grand nombre de Syriennes et de Syriens. Dans plusieurs pays, les offensives militaires, les combats et l’insécurité ont obligé des centaines de milliers de personnes à quitter leur foyer.

Les répercussions économiques de la pandémie se sont traduites par une dégradation des conditions de vie et partout dans la région, des travailleurs et travailleuses ont subi un licenciement sans préavis ou une réduction de salaire. La situation des travailleuses et travailleurs migrants était particulièrement précaire, car, dans de nombreux pays, le système de kafala (parrainage) liait leur permis de séjour à leur emploi. La violence domestique a augmenté, particulièrement pendant les périodes de confinement national, et des crimes d’« honneur » ont continué d’être perpétrés en toute impunité.

Les autorités ont considérablement réprimé les droits des personnes LGBTI, les arrêtant en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle réelles ou présumées et soumettant des hommes à un examen anal forcé.

Droit à la santé

En Tunisie et au Maroc, des membres du personnel soignant ont organisé des manifestations contre l’insuffisance des mesures devant assurer leur protection ; ils ont notamment dénoncé le manque d’équipements de protection individuelle et d’accès au dépistage, et le fait que le COVID-19 n’avait pas été intégré dans la catégorie des maladies professionnelles. En Égypte et en Iran, les professionnel·le·s de santé se heurtaient à des représailles, notamment des arrestations, des menaces et des manœuvres d’intimidation, s’ils exprimaient leurs inquiétudes ou critiquaient les mesures adoptées par les autorités. Les autorités égyptiennes ont arrêté au moins neuf professionnel·le·s de la santé qui avaient fait part de leurs préoccupations en matière de sécurité ou critiqué la gestion par le gouvernement de la pandémie. Ces personnes ont été placées en détention dans l’attente des conclusions d’enquêtes portant sur des charges en lien avec le « terrorisme » et la « diffusion de fausses nouvelles ».

L’État syrien n’a pas procuré au personnel de santé suffisamment d’équipements de protection ni un accès adéquat au dépistage. En décembre, le ministère israélien de la Santé a réservé les vaccins contre le COVID-19 exclusivement aux personnes citoyennes ou résidentes d’Israël, y compris aux Palestiniennes et Palestiniens vivant à Jérusalem-Est, territoire illégalement annexé par Israël. Cette politique était discriminatoire à l’encontre des quelque cinq millions de Palestiniennes et Palestiniens vivant sous l’occupation militaire israélienne en Cisjordanie et à Gaza, et violait l’obligation qui incombe à la puissance occupante de mettre en œuvre des mesures préventives pour lutter contre la propagation des épidémies. Dans le sud de la Libye, les Toubous et les Touaregs se sont heurtés à des obstacles entravant leur accès aux soins de santé dont ils avaient besoin, car des groupes armés rivaux contrôlaient l’accès aux principaux hôpitaux et, dans certains cas, parce que ces personnes ne possédaient pas de papiers d’identité.

Les autorités doivent veiller à ce que les services de santé publique, y compris la vaccination préventive, soient fournis sans discrimination, à ce que le personnel soignant soit suffisamment protégé, et à ce que les restrictions des droits imposées pour lutter contre la pandémie soient toutes nécessaires et proportionnées.

Liberté d’expression

Les gouvernements de toute la région ont utilisé la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour réprimer davantage encore la liberté d’expression, privant ainsi la population de son droit d’être informée sur le virus et de discuter de la réaction des pouvoirs publics. En Algérie, en Jordanie et au Maroc, les autorités ont invoqué l’état d’urgence pour promulguer des décrets et des lois sanctionnant pénalement l’expression légitime d’opinions concernant la pandémie. Ces textes ont été appliqués rapidement et les autorités ont poursuivi des personnes en justice pour « diffusion de fausses nouvelles » ou « entrave » aux décisions gouvernementales. En Arabie saoudite, à Bahreïn, en Iran et à Oman, les autorités judiciaires ont mis en place des équipes chargées spécialement de poursuivre les personnes qui, selon elles, perturbaient l’opinion publique en diffusant des « rumeurs » au sujet de la pandémie. Les autorités égyptiennes et iraniennes ont arrêté ou soumis à d’autres formes de harcèlement des journalistes et des utilisateurs ou utilisatrices des réseaux sociaux ayant mis en doute le discours officiel concernant le COVID-19. En Jordanie et en Tunisie, des personnes ont fait l’objet de brèves détentions ou de poursuites pénales pour avoir critiqué la gestion de la crise par le gouvernement ou par les autorités locales.

Dans toute la région, les autorités ont utilisé des dispositions trop générales et subjectives de la législation pénale sanctionnant l’« outrage » pour réduire au silence les voix critiquant sur Internet les pouvoirs publics. Ces poursuites ont donné lieu à de lourdes peines de prison, notamment contre l’écrivain Abdullah al Maliki, en Arabie saoudite, qui a été condamné à sept ans d’emprisonnement. En Égypte et en Libye, des journalistes ont été poursuivis en justice et emprisonnés en raison de leur travail, et en Iran, un journaliste a été exécuté. Les autorités libanaises ont ouvert des enquêtes contre plusieurs dizaines de journalistes et de militant·e·s qui avaient participé aux manifestations d’octobre 2019. En Tunisie, neuf utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux ont fait l’objet d’une enquête judiciaire et, dans certains cas, de brèves périodes de détention pour avoir critiqué les autorités locales ou la police sur Facebook.

Des gouvernements de la région ont continué de censurer Internet. Les autorités égyptiennes et palestiniennes ont fermé l’accès à certains sites et l’Iran a bloqué certains réseaux sociaux. Des gouvernements ont investi dans des dispositifs de surveillance numérique onéreux, comme ceux produits par NSO Group, une entreprise israélienne spécialisée dans les logiciels espions, pour cibler des défenseur·e·s des droits humains. Les enquêtes d’Amnesty International ont révélé que les autorités marocaines ont utilisé le tristement célèbre logiciel Pegasus, de NSO Group, pour s’en prendre au défenseur des droits humains et universitaire Maati Monjib et au journaliste indépendant Omar Radi. Tous deux ont été arrêtés et poursuivis sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. En juillet, un tribunal de Tel-Aviv a rejeté un recours, porté entre autres par Amnesty International, demandant au ministère de la Défense israélien de retirer à NSO Group sa licence d’exportation.

Les États doivent libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers et prisonnières d’opinion, mettre un terme à toutes les enquêtes et poursuites relatives à l’expression pacifique d’opinions sur Internet ou autrement, et cesser de bloquer des sites Internet en dehors de toute procédure légale. Les autorités doivent de façon prioritaire abroger les dispositions érigeant l’« outrage » en infraction et dépénaliser la diffamation.

Défenseures et défenseurs des droits humains et liberté d’association

Cette année encore, les défenseur·e·s des droits humains ont payé le prix fort pour leur courage. Les autorités ont utilisé diverses stratégies pour tenter de les réduire au silence et de les punir en raison de leur travail. Les autorités israéliennes ont recouru à des descentes de police, des manœuvres de harcèlement judiciaire et des interdictions de voyager contre des personnes qui critiquaient l’occupation militaire. Le tribunal de district de Jérusalem a ainsi confirmé en novembre l’interdiction de voyager prononcée contre Laith Abu Zeyad, employé d’Amnesty International. Les autorités iraniennes ont fermé illégalement des entreprises ou gelé les actifs de personnes qui défendaient les droits humains, et exercé des représailles contre leurs proches, notamment leurs enfants ou leurs parents. En Égypte, les forces de sécurité ont arrêté trois employés d’Initiative égyptienne pour les droits de la personne et, fait exceptionnel, elles les ont libérés plusieurs semaines plus tard, à la suite d’une mobilisation mondiale en leur faveur. Dans le même temps, les autorités judiciaires ont ajouté arbitrairement au moins cinq défenseurs des droits humains à la « liste des terroristes » pour les cinq années à venir. Les défenseur·e·s des droits humains d’Arabie saoudite se trouvaient presque tous soit en exil, soit en prison. En décembre, la défenseure saoudienne des droits des femmes Loujain al Hathloul a été condamnée à cinq ans et huit mois d’emprisonnement.

Les autorités algériennes ont adopté une loi qui restreignait encore davantage la liberté d’association en prévoyant une peine de 14 ans d’emprisonnement pour la réception de financements étrangers en vue de porter atteinte « aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ». Les autorités marocaines ont arrêté Maati Monjib en décembre et une enquête a été ouverte à son sujet pour des accusations liées à la réception de fonds étrangers.

En juin, Nabeel Rajab, directeur du Centre pour les droits de l’homme de Bahreïn, une organisation interdite, a bénéficié d’une libération assortie d’une mise à l’épreuve après avoir purgé une peine de quatre ans d’emprisonnement pour avoir publié un message sur Twitter critiquant le bilan de l’État en matière de droits humains.

Les États doivent reconnaître l’obligation qui leur incombe de respecter et garantir le droit de défendre les droits fondamentaux en veillant à ce que les défenseur·e·s des droits humains puissent faire leur travail sans risquer d’être arrêtés arbitrairement, poursuivis, menacés, attaqués ou harcelés. Les autorités doivent respecter le droit à la liberté d’association et supprimer les restrictions arbitraires visant les organisations de la société civile.

Manifestations et recours illégal à la force

Des manifestations ont continué d’avoir lieu en Algérie, en Irak et au Liban pendant les premiers mois de l’année, jusqu’à leur interruption à la suite de la pandémie de COVID-19. Des protestataires pacifiques ont été arrêtés, frappés et, parfois, poursuivis en justice pour avoir participé à des manifestations. En Irak, les forces de sécurité fédérales ont arrêté plusieurs milliers de manifestant·e·s au cours des premiers mois de l’année. Les représentants du gouvernement régional du Kurdistan ont utilisé le COVID-19 comme prétexte afin de justifier la dispersion de personnes qui manifestaient en mai à Dahuk, et qui ont ensuite été inculpées d’« utilisation abusive de dispositifs électroniques » pour l’organisation d’une manifestation.

Dans toute la région, les forces de sécurité ont fait usage de la force pour disperser des manifestations, en utilisant notamment des armes à létalité réduite. La force utilisée était souvent illégale, dans de nombreux cas car injustifiée ou excessive, et les armes n’étaient pas employées conformément à leur destination. En Irak, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et utilisé des grenades lacrymogènes de type militaire contre les manifestant·e·s, faisant des dizaines de morts à Bagdad, Bassora, Kerbala, Diyala, Najaf et Nassiriyah. Au Liban, elles ont utilisé des balles en caoutchouc d’une manière qui révélait leur intention de blesser, faisant des centaines de victimes lors des manifestations de janvier et février. En Tunisie, la police a eu recours à une force injustifiée et excessive pour disperser une manifestation pacifique dans le gouvernorat de Tataouine. Elle a tiré des gaz lacrymogènes dans des quartiers résidentiels densément peuplés, sans se préoccuper des conséquences. Des grenades ont atterri dans des logements et près d’un hôpital. En Iran, les forces de sécurité ont fait usage de plombs pointus, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes, et frappé et arrêté des dizaines de manifestant·e·s pacifiques.

Les difficultés économiques se faisant de plus en plus sentir, des manifestations sporadiques contre la dégradation des conditions de vie ont eu lieu plus tard dans l’année dans un certain nombre de pays. En Libye, de rares manifestations ont été organisées dans l’est et l’ouest du pays pour dénoncer la corruption et le fait que les milices et les groupes armés ne soient pas soumis à l’obligation de rendre des comptes. Ceux-ci ont réagi en enlevant des protestataires et en tirant sur eux à balles réelles, tuant au moins un homme. À Sulaymaniyah, dans le nord de l’Irak, des manifestations contre le non-paiement des salaires et la corruption ont été réprimées par les autorités du Kurdistan, qui ont tiré à balles réelles et fait des dizaines de morts. En Égypte, les rares manifestations ont été marquées par l’arrestation de centaines de protestataires et de personnes simplement présentes sur les lieux, qui ont été maintenus en détention dans l’attente des conclusions d’enquêtes ouvertes pour des infractions liées au « terrorisme » ou à la contestation.

Les autorités doivent veiller à ce que les responsables de l’application des lois respectent les normes internationales concernant l’utilisation d’armes à feu et d’armes à létalité réduite, enquêter sur les cas de recours illégal à la force et veiller à ce que les membres des forces de l’ordre répondent de leurs agissements. Les États doivent toujours respecter le droit à la liberté de réunion pacifique.

Conditions carcérales et torture

Dans les prisons de plusieurs pays, la surpopulation, l’insalubrité et la mauvaise aération exposaient les personnes incarcérées à un risque accru de contracter le COVID-19, et les conditions de détention équivalaient à des actes de torture ou d’autres traitements cruels et inhumains. La surpopulation carcérale était courante en raison des pratiques de détention arbitraire, y compris de la détention provisoire prolongée sans possibilité de recours efficace, comme en Égypte par exemple, ou de la détention administrative, comme en Israël et en Palestine. Au Maroc, la population carcérale a augmenté lorsque les autorités ont incarcéré des personnes pour le simple fait d’avoir enfreint des mesures liées à la pandémie.

Les visites en prison ont été interdites pendant toute la durée des confinements nationaux, et parfois même au-delà, comme à Bahreïn et en Égypte. Aucune solution n’a été proposée aux personnes incarcérées pour leur permettre de communiquer avec leur famille.

En Égypte, les autorités carcérales n’ont pas distribué suffisamment de produits d’hygiène ni instauré de dépistage et de mesures d’isolement, et elles ont puni les détenu·e·s qui exprimaient leurs inquiétudes quant à leur sécurité. En Iran, où les autorités carcérales elles-mêmes ont reconnu qu’elles manquaient de moyens pour lutter contre la pandémie, les forces de sécurité ont réagi avec une force illégale face aux manifestations et aux émeutes réclamant une meilleure protection contre le COVID-19 qui ont éclaté dans des prisons. Elles ont notamment utilisé des balles réelles, des plombs et des gaz lacrymogènes, ce qui dans certains cas a conduit à des homicides. Dans les prisons, les services de santé étaient souvent insuffisants et en Arabie saoudite, en Égypte et en Iran, les personnes incarcérées ayant un profil politique étaient parfois sanctionnées en étant délibérément privées de soins de santé. En Égypte, au moins 35 prisonniers sont morts en prison ou peu après leur libération en raison de complications médicales et, dans certains cas, d’une privation de soins de santé adaptés.

Des actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés dans les lieux de détention des pouvoirs publics ont cette année encore été recensés dans au moins 18 pays de la région ; ces actes étaient perpétrés en particulier lors des interrogatoires, dans le but d’arracher des « aveux ». Dans l’ensemble de la région, des tribunaux ont condamné des accusé·e·s en s’appuyant sur des éléments de preuve entachés par le recours à la torture. À Bahreïn, en Égypte, en Iran et au Maroc, les autorités carcérales ont eu recours à la détention à l’isolement prolongée et d’une durée indéterminée – ce qui, en soi, constitue souvent une forme de torture – afin de sanctionner des personnes incarcérées pour leurs opinions ou discours politiques ou afin de leur extorquer des « aveux ».

Les autorités doivent résoudre en priorité les problèmes liés au défaut de prise en charge médicale et à la surpopulation dans les prisons. Afin d’enrayer la propagation du COVID-19, elles doivent libérer toutes les personnes détenues arbitrairement ou sans nécessité, telles que les personnes en détention provisoire. Les autorités judiciaires doivent enquêter sur les actes de torture et autres mauvais traitements perpétrés dans les lieux de détention et sur les mauvais traitements punitifs infligés dans les prisons, y compris le placement à l’isolement pendant une période prolongée. Elles doivent par ailleurs mettre fin à l’utilisation dans les procédures judiciaires de déclarations obtenues sous la torture.

Impunité et accès à la justice

Dans toute la région, l’impunité était la règle pour les forces de sécurité responsables de violations des droits humains, en particulier en cas de recours à une force meurtrière ou à létalité réduite et d’utilisation de la torture. En juin, les autorités iraniennes ont révélé pour la première fois le nombre officiel de personnes tuées au cours des manifestations de novembre 2019, mais elles ont continué d’occulter le nombre réel de morts et ont publiquement encensé les forces de sécurité et les services de renseignement pour le rôle qu’ils ont joué dans la répression. En Irak, le nouveau Premier ministre n’a pas honoré sa promesse d’enquêter sur les homicides de centaines de manifestant·e·s et d’indemniser les familles de ces personnes. Au Liban, les autorités judiciaires n’ont pas enquêté sur plus de 40 plaintes portant sur des actes de torture et sur l’utilisation illégale d’armes à létalité réduite qui ont blessé des centaines de manifestant·e·s entre 2019 et 2020. En Égypte, le parquet a régulièrement manqué à son devoir d’enquêter sérieusement sur les plaintes relatives à des actes de torture et à des disparitions forcées, les rares exceptions concernant des décès en détention dans des affaires à caractère non politique, comme celui du commerçant Islam al Australy, mort deux jours après son arrestation en septembre.

Quelques mesures ont été prises à l’échelle internationale en vue de garantir l’obligation de rendre des comptes, souvent après une lutte de longue haleine. En juin, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé une mission d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les atteintes au droit international relatif aux droits humains et au droit international humanitaire commises par toutes les parties au conflit en Libye depuis 2016. En décembre, sept expert·e·s de l’ONU ont écrit au gouvernement iranien pour l’avertir que les violations passées et actuelles liées aux massacres commis dans des prisons en 1988 étaient susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité, et qu’ils demanderaient l’ouverture d’une enquête internationale en cas de violations persistantes.

En Tunisie, dix ans après la révolution, le processus de justice transitionnelle se poursuivait. Le gouvernement a fini par publier le rapport de l’Instance vérité et dignité et mis sur pied un fonds de réparation. Des dizaines de procès étaient toujours en cours devant des tribunaux pénaux spécialisés, mais des syndicats des forces de sécurité et de la police ont continué de les boycotter et des agents mis en cause ont refusé de répondre aux convocations adressées par la justice.

Des pays tels que l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran, Israël et les territoires palestiniens occupés, la Libye et la Syrie ont largement eu recours à des juridictions d’exception (tribunaux militaires, révolutionnaires ou de sûreté de l’État, par exemple), avec des procès marqués par des violations flagrantes des normes d’équité. Les procès tenus devant des juridictions ordinaires étaient souvent tout aussi critiquables, et des procès collectifs continuaient d’avoir lieu. Dans certains pays, notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Irak et l’Iran, des condamnations à mort ont été prononcées et appliquées à l’issue de procès d’une iniquité flagrante.

Israël a continué de commettre en toute impunité des violations systématiques, y compris des crimes de droit international, contre la population palestinienne. La Chambre préliminaire de la CPI a poursuivi son examen de la question de la compétence de la Cour dans les territoires palestiniens occupés, dont les conclusions pourraient permettre au Bureau du procureur d’ouvrir une enquête sur des crimes de droit international.

Israël continuait de soumettre à une discrimination institutionnalisée la population palestinienne vivant sous son autorité en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, et les autorités ont déplacé au moins 996 Palestiniennes et Palestiniens en Israël et en Cisjordanie occupée en procédant à la destruction de maisons.

Les autorités judiciaires nationales doivent amener les membres des services de sécurité présumés responsables de violations à rendre des comptes, exercer un contrôle judiciaire sur les actes de l’exécutif, et respecter les normes en matière de procédure régulière, sans recours à la peine capitale.

Violations commises dans les conflits armés

En Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen, les conflits armés qui perduraient bouleversaient depuis des années la vie de la population civile. Le niveau des violences commises par les acteurs étatiques et non étatiques fluctuait en fonction des changements d’alliances sur le terrain et des intérêts des puissances militaires étrangères. De nombreuses parties aux conflits ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire. Certaines ont perpétré des attaques directes contre des populations ou des infrastructures civiles. En Libye, des groupes armés et des milices ont cette année encore attaqué des installations médicales et enlevé des membres du personnel soignant. À Tripoli, la capitale, l’hôpital général Al Khadra, désigné par le ministère de la Santé pour prendre en charge les personnes atteintes de COVID-19, a été bombardé en avril et en mai. Les forces gouvernementales syriennes et russes ont directement pris pour cible la population civile et des biens de caractère civil, y compris des hôpitaux et des écoles, avec des frappes aériennes sur des villes des gouvernorats d’Idlib, Hama et Alep.

Presque toutes les parties aux combats dans la région ont mené des attaques aveugles (frappes aériennes et bombardements de zones d’habitation avec des tirs d’artillerie, de mortiers et de roquettes) qui ont tué ou blessé des civil·e·s. Les transferts d’armes utilisées pour commettre des crimes de guerre et d’autres violations se sont poursuivis. Les Émirats arabes unis ont continué de fournir illicitement des armes et des équipements militaires à des milices au Yémen. En Libye, des pays comme les Émirats arabes unis, la Russie et la Turquie ont cette année encore livré à leurs alliés des armes et des équipements militaires, y compris des mines antipersonnel interdites et ce, en violation de l’embargo de l’ONU sur les armes. Les Émirats arabes unis et la Turquie sont intervenus directement dans les hostilités en effectuant des frappes aériennes qui ont tué des civil·e·s et des personnes qui ne participaient pas directement aux hostilités. En Syrie, la Russie a continué d’appuyer directement des offensives militaires des forces gouvernementales qui violaient le droit international, tandis que la Turquie soutenait des groupes armés qui commettaient des enlèvements et des exécutions sommaires.

Certains acteurs ont continué d’utiliser la stratégie de la restriction de l’accès humanitaire, ce qui a accentué les difficultés socio-économiques de la population et en particulier entravé l’accès des civil·e·s concernés aux soins de santé pendant la pandémie. Au Yémen, toutes les parties au conflit ont restreint arbitrairement l’aide humanitaire, aggravant davantage encore l’état d’un système de santé exsangue, où seulement 50 % des hôpitaux et des autres infrastructures médicales fonctionnaient. Le gouvernement syrien a continué d’entraver l’accès aux agences d’aide humanitaire de l’ONU et aux ONG internationales basées à Damas. Le mécanisme d’aide transfrontalière depuis la Turquie, autorisé par le Conseil de sécurité de l’ONU, restait donc la seule bouée de sauvetage pour certaines populations, même si le nombre de points de passage est passé de quatre à deux.

Gaza et le sud d’Israël ont connu des poussées de violence armée entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens. Israël a maintenu son blocus illégal de la bande de Gaza.
Les parties aux conflits armés doivent respecter le droit international humanitaire. Elles doivent en particulier mettre fin aux attaques directes contre les populations ou infrastructures civiles ainsi qu’aux attaques sans discrimination, et ne pas utiliser dans les zones civiles d’armes explosives à large champ d’action. Les puissances militaires doivent cesser les transferts d’armes lorsqu’il existe un risque important que celles-ci soient utilisées en violation du droit international, ce qui était le cas dans les conflits en cours dans la région.

Droits des personnes réfugiées, demandeuses d’asile, migrantes ou déplacées

Les personnes réfugiées, migrantes ou déplacées qui vivaient dans des camps, et qui étaient déjà exposées à un risque accru d’infection en raison de la surpopulation, ont été durement touchées par les restrictions de déplacement imposées pour prévenir la propagation du COVID-19 ; ces mesures ont limité leur accès à l’emploi en dehors des camps et la capacité des organisations humanitaires à leur fournir une aide.

Les attaques incessantes contre les populations et les infrastructures civiles dans le nord-ouest de la Syrie ont conduit près d’un million de personnes supplémentaires à se réfugier dans des camps proches de la frontière turque déjà surchargés. En Irak, les autorités ont fermé au moins 10 camps, obligeant des dizaines de milliers de personnes à se déplacer de nouveau, et celles qui étaient soupçonnées d’avoir des liens avec le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique risquaient d’être soumises à une détention arbitraire ou une disparition forcée.

Le Liban, la Jordanie et la Turquie accueillaient toujours la majorité des cinq millions de personnes qui avaient fui la Syrie depuis le début de la crise, en 2011, signe que la communauté internationale n’assumait pas son devoir de partage des responsabilités. En Jordanie, les personnes réfugiées venant de Syrie étaient parmi les plus impactées par le confinement national, car beaucoup d’entre elles travaillaient dans l’économie informelle et n’avaient pas de contrat écrit, ne bénéficiaient pas de la sécurité sociale, n’étaient pas couvertes par une assurance maladie, et n’avaient pas de permis de travail valide.

En Libye, les répercussions économiques de la pandémie de COVID-19, la fermeture des frontières et les restrictions de déplacement ont accentué la souffrance des personnes réfugiées, demandeuses d’asile et migrantes. Des acteurs étatiques et non étatiques les ont soumises à des détentions arbitraires d’une durée indéterminée, des enlèvements, des homicides illégaux, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des viols et d’autres violences sexuelles, et au travail forcé. Des milliers d’entre elles ont fait l’objet de disparitions forcées après avoir été débarquées par les garde-côtes libyens, soutenus par l’UE, et au moins 6 000 autres ont été expulsées de l’est de la Libye en dehors de toute procédure régulière.

Les autorités ont continué d’arrêter et de détenir des personnes migrantes sans papiers, souvent sans que ces mesures soient fondées juridiquement. Les autorités algériennes ont privé des personnes migrantes détenues de tout accès à des voies de recours juridique, parfois pendant des mois, et expulsé plus de 17 000 d’entre elles. En Tunisie, 22 migrant·e·s ont obtenu gain de cause dans une action contestant leur détention dans le centre de Ouardia. Le ministère de l’Intérieur a obtempéré en les libérant progressivement.

Les États doivent mettre un terme aux départs provoqués et aux renvois de personnes réfugiées ou en quête d’asile vers la Syrie ou d’autres pays ; dans le reste du monde, notamment en Occident, les États doivent prendre une part bien plus importante dans le partage des responsabilités, en particulier par le biais de la réinstallation.

Droits des travailleuses et travailleurs

Les conséquences économiques de la pandémie se sont notamment traduites par de nombreuses suppressions d’emploi dans toute la région. En Égypte, plusieurs dizaines de milliers d’employé·e·s du secteur privé ont été licenciés ou forcés d’accepter un salaire réduit, de travailler sans équipement de protection ou de prendre un congé sans solde d’une durée indéterminée. Des travailleuses et travailleurs et des militant·e·s syndicaux ont fréquemment été arrêtés pour le simple fait d’avoir exercé leur droit de grève. En Jordanie, la décision du gouvernement de geler les salaires des fonctionnaires jusqu’à la fin de l’année 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 a déclenché de nouvelles manifestations en août et aggravé le différend qui opposait de longue date le gouvernement et le syndicat des enseignant·e·s. Des descentes de police ont été opérées dans les locaux de 13 sections de ce syndicat, des dizaines de membres du syndicat et de son exécutif ont été arrêtés et un tribunal a ordonné sa dissolution.

La pandémie a aggravé la situation déjà précaire des travailleuses et travailleurs migrants dont l’emploi était régi par le système de kafala en Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, en Jordanie, au Koweït, au Liban, à Oman et au Qatar. Comme ils n’étaient pas suffisamment protégés contre les abus commis par les personnes qui les employaient ou les parrainaient, les travailleuses et travailleurs migrants étaient exposés au risque de licenciement arbitraire et de non-paiement de leur salaire. De plus, l’insalubrité et la surpopulation dans les camps et les centres d’accueil les exposaient à un risque accru de contracter le COVID-19. Les travailleuses et travailleurs migrants avaient rarement accès à une protection sociale ou à un autre emploi. Les aides d’urgence en nature ou en espèces étaient réservées aux ressortissant·e·s nationaux, comme en Jordanie, où seuls les travailleuses et travailleurs journaliers de nationalité jordanienne y avaient droit. Les milliers de travailleuses et travailleurs migrants qui ont perdu leur emploi ont également perdu leur statut de résidents et ils risquaient donc d’être arrêtés, placés en détention et expulsés. Souvent, celles et ceux qui souhaitaient quitter le pays ne pouvaient pas le faire en raison des restrictions de déplacement liées au COVID-19. Des États comme le Koweït et l’Arabie saoudite ont étendu la durée de validité des permis de séjour ou accordé une amnistie aux migrant·e·s en situation irrégulière pour leur permettre de quitter le pays sans avoir à payer d’amende, à condition que ces personnes n’aient pas de dettes et ne fassent pas l’objet d’une action en cours devant les tribunaux.

Des réformes visant à améliorer la protection des travailleuses et travailleurs migrants ont été annoncées dans plusieurs pays, en particulier dans des pays du Golfe, où ils représentaient une grande part de la main-d’œuvre. À Oman et au Qatar, les autorités ont modifié la législation pour permettre aux travailleuses et travailleurs migrants de changer d’emploi sans avoir besoin de la permission de leur employeur ou employeuse. Au Koweït, les autorités ont engagé des poursuites dans au moins trois affaires concernant des violences physiques infligées à des employées de maison immigrées par les personnes qui les employaient, et dans des affaires de traite d’êtres humains et de trafic de visas.

Les États doivent veiller à ce que les droits des travailleuses et des travailleurs soient respectés et à ce que leur droit de grève soit protégé. Ils doivent modifier le droit du travail pour qu’il protège également les travailleuses et travailleurs migrants, y compris les employé·e·s de maison migrants, et abolir le système de kafala.

Droits des femmes et des filles

Les organisations de défense des droits des femmes, les permanences téléphoniques et les centres d’accueil pour les victimes de violences ont signalé une augmentation des appels à l’aide en raison de violences domestiques et des demandes d’hébergement d’urgence pendant les périodes de confinement national, notamment en Algérie, en Irak, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie. Des crimes d’« honneur » ont cette année encore été commis en Irak, en Jordanie, au Koweït et en Palestine, et les autorités n’ont pas poursuivi les responsables de ces actes. En Libye, des femmes et des filles ont été victimes de violences liées au genre, d’intimidations en ligne, d’enlèvements et d’assassinats commis par des acteurs étatiques et non étatiques, comme dans le cas de l’avocate Hanan al Barassi, tuée à Benghazi. En Iran, la police des mœurs contrôlait l’application de lois discriminatoires imposant le port du voile en soumettant les femmes et les filles à un harcèlement quotidien et à des violences.

Les femmes étaient toujours en butte à une discrimination profondément ancrée et inscrite dans la loi, notamment concernant le mariage, le divorce, la garde des enfants, l’héritage et, en Arabie saoudite et en Iran, l’emploi et l’accès aux fonctions politiques. La suspension des procédures judiciaires pendant les périodes de confinement a entravé l’accès des femmes à des réparations, y compris au Maroc dans des cas de poursuites engagées pour des violences infligées à des femmes.

En Égypte, une campagne menée sur Internet par de jeunes féministes a conduit à l’arrestation de plusieurs hommes accusés de viol, qui a été suivie d’un procès, mais les autorités ont également arrêté des victimes et des personnes qui avaient témoigné dans ces affaires. Au moins neuf femmes influenceuses sur les réseaux sociaux en Égypte ont été poursuivies pour « violation des principes de la famille » en raison de leurs vidéos diffusées sur TikTok.

Le Parlement koweïtien a quant à lui approuvé une proposition de loi érigeant la violence domestique en infraction et offrant une meilleure protection ainsi que des services juridiques et médicaux aux victimes de ces violences, ce qui constitue une avancée encourageante.

Les autorités doivent non seulement remédier à la discrimination contre les femmes inscrite de longue date dans la loi et dans la pratique, mais également condamner publiquement toutes les formes de violence à l’égard des femmes. Elles doivent adopter en priorité des politiques visant à ce que les femmes et les filles victimes de violences aient accès à des recours effectifs et à ce que les responsables présumés de ces violences soient amenés à rendre des comptes.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Dans toute la région, des personnes LGBTI ont été harcelées, arrêtées et poursuivies en justice en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelles ou présumées. Dans certains pays, les autorités ont soumis des hommes à un examen anal forcé – une pratique pouvant être assimilée à de la torture – pour établir la preuve de relations homosexuelles. Cette année encore, des tribunaux ont traité les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe comme constituant des infractions, et souvent condamné des hommes, et parfois des femmes, au titre de dispositions relatives à la morale publique et d’autres dispositions spécifiques. La police algérienne a arrêté 44 personnes en raison d’une fête décrite comme « un mariage homosexuel ». Les personnes qui avaient organisé l’événement et toutes celles qui y étaient invitées ont été condamnées respectivement à trois ans et un an de prison pour « incitation à l’homosexualité » et « débauche ». Les tribunaux tunisiens ont déclaré coupables au moins 15 hommes et une femme au titre de l’article 230 du Code pénal, qui sanctionne la « sodomie ». En Libye, les Forces spéciales de dissuasion (Radaa) ont continué d’arrêter des hommes à cause de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre supposées, et de les soumettre à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements.

Les États doivent libérer toutes les personnes détenues en raison de leur orientation sexuelle réelle ou supposée, et abandonner toutes les charges retenues contre celles qui sont poursuivies pour ces motifs. Les autorités législatives doivent abroger les dispositions érigeant en infraction pénale les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, supprimer la pratique de l’examen anal et adopter des lois interdisant la discrimination fondée sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle.

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