Enquête sur le commerce non maîtrisé des équipements de maintien de l’ordre

Des policiers montent la garde devant le bureau du président alors que ses partisans et des manifestants anti-gouvernementaux s'affrontent à Colombo le 9 mai 2022. - Le 9 mai 2022, la violence a fait rage dans tout le Sri Lanka jusque tard dans la nuit, faisant cinq morts et quelque 180 blessés lorsque le premier ministre Mahinda Rajapaksa a démissionné après des semaines de manifestations.

Les entreprises vendant des armes à létalité réduite à des pays qui les utilisent abusivement pour réprimer des manifestations, de même que les États qui autorisent ces exportations, entretiennent une crise mondiale des droits humains et doivent mettre un terme à ce commerce irresponsable, indique Amnesty International dans une nouvelle enquête publiée jeudi 12 octobre.

Cette enquête intitulée The Repression Trade : Investigating the Transfer of Weapons Used to Crush Dissent [1] identifie 23 principaux producteurs d’équipements à létalité réduite et de munitions de chasse dont les articles ont été utilisés illégalement lors de manifestations dans 25 pays. Ces armes – gaz lacrymogène, balles en caoutchouc, matraques et grenades incapacitantes – sont régulièrement employées à travers le monde pour commettre des violations des droits humains, notamment des actes de torture et d’autres mauvais traitements à l’encontre de manifestant·e·s et de détenu·e·s.

Voir aussi : Protestons !

Amnesty International s’est appuyée sur des technologies open source, l’analyse d’armes et les données commerciales pour montrer l’urgence de remédier au manque de transparence et de régulation du commerce des équipements de maintien de l’ordre.

« Ces dernières années, les armes à létalité réduite ont été utilisées à maintes reprises pour intimider et punir des manifestant·e·s, en causant des milliers de blessures évitables et des dizaines de décès dans le monde, a déclaré Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre à Amnesty International.

« Les entreprises produisant ces armes ont le devoir de mettre fin à leur commerce irresponsable des équipements de maintien de l’ordre »

« Certaines entreprises exportent régulièrement des armes dans des pays dont le bilan en matière de droits humains est consternant, malgré les informations indiquant que ces équipements font l’objet d’utilisations abusives. Le manque affligeant de régulation de ce commerce par les États permet des violations des droits humains et menace le droit de manifester pacifiquement partout dans le monde.

« Les entreprises produisant ces armes ont le devoir de mettre fin à leur commerce irresponsable des équipements de maintien de l’ordre. Il est temps qu’elles respectent pleinement tous les droits humains, quel que soit l’endroit où elles mènent leurs activités. »

Les États qui approuvent et autorisent ces exportations facilitent de graves violations des droits humains, notamment des actes de torture et d’autres mauvais traitements, et doivent de toute urgence réguler ce commerce.

Amnesty International appelle les États à tenir compte des recommandations de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la torture en soutenant l’adoption d’un traité solide contre le commerce des instruments de torture, qui interdirait les équipements de maintien de l’ordre intrinsèquement abusifs et imposerait des contrôles stricts axés sur les droits humains pour le commerce de ceux qui sont souvent utilisés pour commettre des actes de torture et d’autres mauvais traitements.

Tirer profit de la douleur

En visionnant des vidéos de manifestations des dix dernières années, Amnesty International a relevé des signes de l’utilisation inconsidérée des armes à létalité réduite dans toutes les régions du monde, parfois avec des conséquences mortelles.

« On observe une mondialisation croissante du commerce des armes à létalité réduite, notamment des équipements de contrôle des foules »

La campagne phare Protestons ! a révélé de nombreuses atteintes au droit de manifester dans le monde. Des pays de toutes les régions continuent d’utiliser abusivement les armes à létalité réduite (comme le gaz lacrymogène, les balles en caoutchouc, le gaz poivre ou les matraques) pour harceler, intimider, punir ou repousser les manifestant·e·s, faisant fi de leur droit de réunion pacifique.

On observe une mondialisation croissante du commerce des armes à létalité réduite, notamment des équipements de contrôle des foules. Si la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis et certains États européens dominent le marché, des entreprises de pays en développement comme le Brésil, l’Inde et la Turquie produisent également des armes pour le marché national et l’exportation.

Cheddite est une société franco-italienne qui produit des douilles et des cartouches. Ses cartouches de fusil, qui peuvent être remplies de plombs et servent habituellement pour la chasse, ont été utilisées illégalement contre des manifestant·e·s en Iran. Des photos vérifiées de cartouches Cheddite récupérées après des tirs ont également circulé sur les réseaux sociaux lors de manifestations au Myanmar et au Sénégal qui ont été marquées par des violations des droits humains.

Combined Systems est l’un des principaux fabricants d’armes à létalité réduite aux États-Unis. Amnesty International a vérifié des photos sur lesquelles apparaissent ses produits utilisés non seulement aux États-Unis, mais aussi dans plusieurs autres pays où les forces de sécurité ont régulièrement recours à une force illégale pour réprimer des manifestations, notamment l’Égypte, Israël, la Tunisie et la Colombie.

Norinco Group est un conglomérat appartenant à l’État chinois qui fabrique un vaste choix de systèmes d’armes classiques. Des photos vérifiées de véhicules blindés et d’armes à létalité réduite produites par Norinco Group sont apparues au Kenya, au Venezuela, en Géorgie, en Guinée, au Bangladesh et au Sri Lanka dans des contextes de violations des droits humains lors de manifestations.

Deux entreprises sud-coréennes sont également mentionnées dans l’enquête. Amnesty International a constaté l’utilisation illégale de gaz lacrymogène et d’autres équipements à létalité réduite produits par DaeKwang Chemical Corporation à Bahreïn, au Myanmar et au Sri Lanka. L’organisation a également vérifié des vidéos et recueilli des photos montrant des policiers qui utilisent des grenades lacrymogènes exportées par CNO Tech lors de manifestations au Sri Lanka et au Pérou.

Selon les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les entreprises doivent élaborer et mettre en œuvre des politiques et des mécanismes de diligence requise en matière de droits humains afin d’identifier et d’agir contre les risques d’atteintes aux droits humains liés à leurs activités et leur chaîne de valeur.

Les entreprises exportatrices d’équipements présentant le risque d’être utilisés de manière abusive par des forces de police et de sécurité – en particulier vers des pays où le respect du droit international relatif aux droits humains laisse à désirer – doivent appliquer la diligence requise à l’égard des droits humains avant de procéder à toute vente. Dans les cas où il est impossible d’empêcher ou d’atténuer les répercussions négatives potentielles de l’utilisation de leurs produits et services sur les droits humains, les entreprises en question doivent agir de manière responsable en interrompant ou en cessant leur approvisionnement.

« Les entreprises qui fabriquent ces équipements sont tenues de respecter les droits humains et ne doivent pas exporter leurs articles vers des pays où les armes à létalité réduite risquent d’être utilisées illégalement contre des manifestant·e·s. »

« Il n’est pas toujours possible de suivre à la trace l’emploi qui est fait de certains types d’armes en particulier, mais les éléments dont nous disposons indiquent clairement que le commerce irresponsable pratiqué depuis longtemps continue de nuire, a déclaré Patrick Wilcken.

« Les entreprises qui fabriquent ces équipements sont tenues de respecter les droits humains et ne doivent pas exporter leurs articles vers des pays où les armes à létalité réduite risquent d’être utilisées illégalement contre des manifestant·e·s.

« Les États doivent soutenir les recommandations présentées ce jeudi 12 octobre à New York par la rapporteuse spéciale sur la torture en vue d’établir un traité international juridiquement contraignant pour réguler ce commerce. »

Amnesty International a contacté les entreprises identifiées ci-dessus, et leur a donné l’opportunité de répondre aux conclusions de l’organisation. Au moment de publier cette enquête, aucune n’avait répondu.

La campagne Protestons ! d’Amnesty International appelle les États à se prononcer clairement en faveur de la protection des manifestant·e·s et à supprimer les obstacles et restrictions non justifiés aux manifestations pacifiques.

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