Déclinée sous le nom de Protestons ! en Belgique francophone, elle sera le thème principal de la campagne de fin d’année de l’organisation entourant la vente des traditionnelles bougies Amnesty et des activités relatives à la Journée internationale des droits humains, le 10 décembre.
« De nombreux droits et libertés de première importance ont été conquis en battant le pavé, en portant haut la voix, en protestant d’une façon ou d’une autre. Aujourd’hui, le droit de protester pacifiquement est gravement attaqué dans un nombre impressionnant de pays, partout sur la planète. C’est pour cette raison que nous tirons la sonnette d’alarme et lançons un appel d’urgence : il est essentiel que nous nous mobilisions et rappelions haut et fort aux dirigeant·es notre droit inaliénable de manifester, d’exprimer des revendications et de réclamer des changements, librement, collectivement et publiquement », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.
De la Russie au Sri Lanka, en passant par la France, le Sénégal, l’Iran et le Nicaragua, des États ont entrepris de mettre en œuvre un éventail de plus en plus large de mesures visant à réprimer la dissidence organisée. Aux quatre coins du monde, des manifestant·es se heurtent à divers obstacles : refoulements, associés à un nombre grandissant de lois et d’autres mesures restreignant le droit de manifester ; recours abusif à la force ; développement d’une surveillance massive et ciblée ; coupures de l’accès à Internet et censure en ligne ; violences et stigmatisation. En outre, les groupes marginalisés et discriminés, comme les femmes ou les personnes LGBTQIA+, rencontrent encore plus de difficultés.
La campagne Protestons ! d’Amnesty International a pour objectifs de dénoncer les attaques contre les manifestations pacifiques, de défendre les personnes visées et de soutenir les causes portées par les mouvements sociaux en faveur de changements dans le domaine des droits humains.
« Ces dernières années, nous observons des mobilisations parmi les plus fortes depuis des décennies. Black Lives Matter, #MeToo et les mouvements en rapport avec le changement climatique ont incité des millions de personnes à descendre dans la rue et à mener des actions en ligne pour réclamer la justice sociale et climatique, l’équité, ainsi que la fin des violences liées au genre et de la discrimination. Ailleurs, des milliers de personnes se sont érigées contre les violences et les homicides imputables à la police, la répression orchestrée par l’État et l’oppression, indique Philippe Hensmans. Les autorités, presque sans exception, ont réagi à cette vague de protestation de manière obstructionniste, répressive et souvent violente. Au lieu de faciliter l’exercice du droit de protester, les États vont encore plus loin pour l’anéantir. »
Législation restrictive, interdictions générales et pouvoirs d’urgence
Divers problèmes, comme la crise environnementale, le creusement des inégalités, les menaces grandissantes qui pèsent sur les moyens d’existence, le racisme systémique et les violences liées au genre, ont rendu l’action collective encore plus nécessaire. Les États ont réagi en adoptant des législations qui restreignent de manière illégitime le droit de manifester. Par exemple, certains ont imposé une interdiction générale des manifestations, comme la Grèce et Chypre pendant la pandémie de COVID-19. Au Royaume-Uni, une nouvelle loi [1] contient des dispositions conférant aux policiers des pouvoirs étendus, notamment celui d’interdire les « manifestations bruyantes ». Au Sénégal, les manifestations politiques dans le centre de Dakar sont interdites depuis 2011, ce qui empêche les rassemblements à proximité des bâtiments officiels.
Par ailleurs, différents États utilisent de plus en plus les pouvoirs d’urgence comme prétexte pour réprimer la dissidence. Cela a été le cas au plus fort de la pandémie de COVID-19 dans plusieurs pays, dont la Thaïlande. En République démocratique du Congo, un « état de siège » instauré par les autorités a conféré à l’armée et à la police de vastes pouvoirs s’agissant de restreindre les manifestations dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu depuis mai 2021.
Diabolisation des manifestants
Dans le monde entier, des États justifient les restrictions en avançant que les manifestations représentent un risque pour l’ordre public et en stigmatisant les manifestant·es, qu’ils qualifient de « fauteur·euses de troubles », d’« émeutier·ères », voire de « terroristes ». En les décrivant ainsi, les autorités légitiment leur politique de tolérance zéro, qui consiste à adopter et utiliser abusivement des lois floues et draconiennes en matière de sécurité, à déployer des agents lourdement armés pour maintenir l’ordre et à prendre des mesures dissuasives à titre préventif.
Cette approche a été observée à Hong Kong, où la loi relative à la sécurité nationale, qui contient une définition large de la « sécurité nationale », est utilisée arbitrairement pour restreindre les manifestations, entre autres.
En Inde, la loi relative à la prévention des activités illégales [2], qui vise à lutter contre le terrorisme, et l’infraction de « sédition » ont été employées à plusieurs reprises contre des manifestant·es pacifiques, des journalistes et des défenseur·es des droits humains.
Militarisation du maintien de l’ordre
Certains États ont recours depuis longtemps à des moyens agressifs pour maintenir l’ordre lors des manifestations. Cependant, depuis quelques années, les forces de sécurité utilisent une force accrue.
Les armes dites « à létalité réduite », dont font partie les matraques, le gaz poivre, le gaz lacrymogène, les grenades assourdissantes, les canons à eau et les balles en caoutchouc, sont couramment utilisées de manière abusive par les forces de sécurité. Depuis le début des années 2000, Amnesty International constate également une tendance à la militarisation des opérations menées par les États face aux manifestations, y compris le recours aux forces armées et à du matériel militaire. Dans certains pays, dont le Chili [3] et la France, les forces de sécurité, en tenue antiémeute complète, sont souvent appuyées par des véhicules blindés, des hélicoptères de type militaire et des drones de surveillance, et équipées de fusils d’assaut et de pistolets, de grenades assourdissantes et de canons sonores.
Lors du soulèvement de grande ampleur qui a suivi le coup d’État de 2021 au Myanmar, l’armée a eu recours illégalement à la force meurtrière contre des manifestant·es pacifiques. Plus de 2 000 personnes ont été tuées, selon les observateur·rices, et plus de 13 000 ont été arrêtées depuis que l’armée a pris le pouvoir.
Inégalités et discrimination
Les personnes victimes d’inégalités et de discrimination, que celles-ci soient fondées sur la race, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, la religion, l’âge, la situation au regard du handicap, la profession, le statut social, la situation économique ou le statut migratoire, sont les plus touchées par les restrictions qui entravent leur droit de manifester et subissent une répression plus dure.
Par exemple, les femmes, les personnes LGBTQIA+ et les personnes ne se conformant pas aux normes de genre se heurtent à différents types de violences liées au genre, à la marginalisation, aux normes sociales et à la législation. Dans plusieurs pays, notamment au Soudan [4], en Colombie et au Bélarus [5], des femmes ont été agressées sexuellement pour avoir participé à des manifestations et en Turquie, par exemple, les marches des fiertés sont interdites depuis des années.
Défendre le droit de protester en achetant une bougie
Les graves menaces qui pèsent sur le droit de manifester partout dans le monde et la nécessité vitale de défendre ce droit humain seront au cœur de la traditionnelle campagne de vente de bougies (mais aussi d’autres produits estampillés Amnesty International) de fin d’années d’Amnesty International. Les bénéfices générés par ces ventes contribueront intégralement à financer la mission de défense des droits humains de l’organisation, qu’elle mène en toute indépendance.
« Notre campagne va se déployer à un moment crucial. Le droit de protester, si précieux, est rogné à une vitesse terrifiante et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour résister. Pour cette raison, nous appelons nos membres, sympathisant·es, ainsi que toutes les personnes désireuses de défendre les droits humains en général, et le droit de protester en particulier, à prendre conscience de la menace, très lourde et très grave, et à nous soutenir concrètement dans notre mission de défense de ces droits. Une première façon de le faire est, en cette fin d’année, d’acheter une bougie Amnesty », indique Philippe Hensmans.
Dix cas particuliers mis en avant
Dans le contexte de cette nouvelle campagne, Amnesty International axera également cette année son traditionnel Marathon des lettres sur dix personnes ou groupes de personnes dont la situation est liée aux attaques que subit le droit de manifester dans le monde. Autour du 10 décembre, Journée internationale des droits humains, la section belge francophone appellera ainsi le public à écrire le maximum de lettres et de cartes de soutien en faveur de ces individus.
Il sera ainsi notamment possible d’agir pour Alexandra Skotchilenko, maintenue en détention en Russie pour avoir protesté contre l’invasion de l’Ukraine en remplaçant les étiquettes de prix dans un supermarché par de petites étiquettes contenant des informations censurées par les médias d’État russes ; Chow Hang-tung, avocate spécialisée dans les droits humains et défenseure des droits des travailleur·euses, emprisonnée à Hong Kong pour des motifs liés à un « rassemblement non autorisé » en mémoire des victimes de la répression de Tiananmen ; Nasser Zefzafi, figure du mouvement du Hirak El Rif, condamné à 20 ans de prison au Maroc à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités, notamment le recours présumé à la torture pour lui extorquer des aveux ; etc.
Complément d’information
Le document d’information intitulé Protégeons les manifs ! Pourquoi nous devons défendre notre droit de manifester est disponible.
Le droit international relatif aux droits humains protège le droit de manifester par un certain nombre de dispositions inscrites dans divers traités internationaux et régionaux et qui, ensemble, confèrent une protection complète aux manifestations. Bien que le droit de manifester ne figure pas comme un droit distinct dans les traités relatifs aux droits humains, les personnes qui manifestent, individuellement ou collectivement, exercent en réalité plusieurs droits, qui peuvent inclure les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.